- Les forces de sécurité éthiopiennes ont commis des attaques généralisées constituant des crimes de guerre contre des personnels soignants, des patients et des établissements de santé dans la région d’Amhara.
- Les civils paient le tribut le plus lourd des combats qui opposent l’armée éthiopienne et la milice amhara connue sous le nom de Fano, qui ont débuté en août 2023.
- Les partenaires internationaux de l’Éthiopie devraient insister sur l’obligation de rendre des comptes, exiger la fin des attaques visant personnels soignants et services de santé, et reprendre une surveillance accrue de la situation des droits humains dans ce pays.
(Nairobi, le 3 juillet 2024) – Les forces de sécurité éthiopiennes ont commis des attaques généralisées constituant des crimes de guerre contre des personnels soignants, des patients et des établissements de santé dans la région d’Amhara, dans le nord-ouest du pays, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport rendu public aujourd’hui.
Le rapport de 66 pages, intitulé « “If the Soldier Dies, It’s On You”: Attacks on Medical Care in Ethiopia’s Amhara Conflict » (« “Si le soldat meurt, ce sera votre faute” : Attaques contre les soins médicaux lors du conflit dans l’Amhara en Éthiopie »), documente les attaques perpétrées par les forces fédérales éthiopiennes et une milice qui leur est affiliée contre les personnels de santé, les centres de soins et les moyens de transport en Éthiopie, dans au moins 13 villes depuis le début des combats entre les forces gouvernementales et la milice amhara connue sous le nom de Fano en août 2023. Les partenaires internationaux d’Addis-Abeba devraient exiger que les responsabilités soient établies, que les attaques visant personnels et services de santé prennent fin et que la surveillance de la situation des droits humains dans le pays soit renforcée.
« Les forces fédérales éthiopiennes, qui opèrent en quasi-impunité, affichent un mépris non surprenant à l’égard des vies civiles, en attaquant des centres médicaux qui fournissent des soins dont les habitants ont désespérément besoin », a déclaré Laetitia Bader, directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch. « Tant que le gouvernement ne ressentira aucune pression pour exiger que les forces ayant commis des abus soient tenues responsables, de telles atrocités risquent de se poursuivre. »
Entre août 2023 et mai 2024, Human Rights Watch a mené des entretiens à distance avec 58 victimes et témoins d’abus ainsi qu’avec des professionnels de santé et des travailleurs humanitaires. Nous avons également examiné des images satellite et vérifié des vidéos et des photographies d’une frappe de drone contre une ambulance en novembre attribuée aux forces gouvernementales.
Human Rights Watch a établi que les forces éthiopiennes ont mis en danger ou perturbé le fonctionnement des hôpitaux. Des soldats ont roué de coups des professionnels de santé, procédé à leur arrestation arbitraire et les ont intimidés parce qu’ils dispensaient des soins aux blessés et aux malades, y compris des combattants présumés des Fano. Ils ont également attaqué en toute illégalité des ambulances et des transports médicaux, entravé l’accès à l’aide humanitaire et privé les Amharas de leur droit à la santé.
En janvier, des soldats éthiopiens ont arrêté et interrogé un professionnel de santé pendant plusieurs jours dans un camp militaire. « Le colonel [qui m’interrogeait] m’a traité de ‘‘médecin Fano’’ », a-t-il relaté. « Il a commencé à me demander pourquoi je soignais les Fano. Il a déclaré qu’[ils] n’étaient pas des humains… que ce sont des monstres. »
Les forces fédérales ont entravé l’accès aux installations médicales, notamment en procédant à l’arrestation de patients sur la base de simples soupçons d’appartenance aux Fano, provoquant la peur parmi celles et ceux qui pourraient demander ou nécessiter un traitement.
Le droit international humanitaire, également connu sous le terme de droit de la guerre, interdit les attaques contre des civils et des infrastructures civiles. En outre, il prévoit des protections spéciales pour les établissements sanitaires, les professionnels de santé, les patients et les ambulances. Même dans le cadre d’un conflit armé, le droit international des droits humains reste en vigueur, faisant obligation aux États de maintenir des seuils minimums vitaux pour préserver le droit à la santé.
Les combats dans la région d’Amhara ont perturbé la livraison de fournitures médicales, entraînant des pénuries aiguës et prolongées de médicaments vitaux dans les hôpitaux et les centres de soins, et affectant leur capacité à fournir des soins adéquats.
Les médecins et les personnels de santé opèrent dans des conditions effroyables : « Nous manquons d’oxygène et de médicaments, et comme il n’y a pas d’électricité, nous sommes confrontés à de graves difficultés », a expliqué, en novembre 2023, un médecin exerçant dans un hôpital. « La banque de sang a arrêté d’en collecter... Hier, nous avons dû dire à la famille d’une femme enceinte de venir avec 20 litres de carburant ou n’importe quelle autre quantité pour que nous puissions l’opérer à l’aide d’un groupe électrogène. »
Les médecins qui cherchent à reconstituer les stocks de fournitures médicales épuisées éveillent les soupçons des forces gouvernementales et, dans certains cas, ont été attaqués, compliquant la dispense de soins dans un environnement sûr. Le 30 novembre, une frappe de drone apparente contre une ambulance clairement identifiée comme telle dans la ville de Wegel Tena a tué au moins quatre civils, en a grièvement blessé un autre et détruit des fournitures médicales essentielles. « Le personnel hospitalier est perturbé, étreint par la crainte d’une nouvelle attaque », a témoigné un médecin. « Tous les médicaments transportés à bord de l’ambulance ont brûlé. Le peu de budget qui nous restait, nous l’avions utilisé pour les acheter. »
Les agences humanitaires qui s’efforcent de combler les stocks manquants sont également confrontées à un environnement opérationnel de plus en plus difficile depuis août 2023. Leur travail a été compliqué par les combats en cours, les attaques visant les travailleurs humanitaires, les contrôles imprévisibles dans les villes et les restrictions de mouvement, notamment dans les zones sous contrôles des Fano. Neuf travailleurs humanitaires ont été tués dans l’Amhara depuis le début des combats, dont au moins quatre depuis janvier.
En mars, les responsables locaux de la santé dans l’Amhara ont reconnu que le conflit en cours dans la région entre les forces gouvernementales et les milices Fano avait causé d’importants dégâts au système de santé, tout en attribuant aux « forces extrémistes » le pillage de 967 établissements et la confiscation de 124 ambulances.
En juin, Human Rights Watch a écrit aux autorités éthiopiennes afin de porter à leur connaissance ses conclusions, mais n’a pas reçu de réponse a ce jour.
Depuis l’échec du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies à reconduire l’enquête qu’il avait mandatée en Éthiopie en octobre 2023, la surveillance internationale de la situation des droits humains dans ce pays reste limitée, et il est également difficile pour les journalistes indépendants de se rendre à Amhara. Le 14 juin, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a rendu public un rapport sur la situation en Éthiopie, affirmant que les forces fédérales et la milice Fano étaient impliquées dans de nombreuses violations du droit international humanitaire, avec plus de 2 000 victimes civiles dans la région d’Amhara.
Le gouvernement éthiopien devrait immédiatement mettre fin aux attaques contre les professionnels de santé, les patients, les centres de soins et les moyens de transport dans cette région. Il devrait également s’efforcer de renforcer les protections juridiques pour les soins de santé en adoptant une législation spécifique protégeant les personnels de santé et les établissements sanitaires.
Les bailleurs de fonds internationaux ont pris des mesures pour réhabiliter les établissements sanitaires endommagés dans l’Amhara et dans d’autres zones touchées par le conflit, mais les gouvernements concernés n’ont pas publiquement condamné les attaques perpétrées par les forces fédérales éthiopiennes ni exhorté le gouvernement à demander des comptes aux responsables d’abus, a constaté Human Rights Watch.
Lors de forums multilatéraux, les partenaires internationaux de l’Éthiopie, notamment l’Union africaine et l’Union européenne, devraient faire pression pour une reprise de la surveillance de la situation des droits humains en Éthiopie. Ils devraient également accroître leur soutien aux services de santé dans la région d’Amhara, assurer une surveillance rigoureuse et indépendante des droits humains dans le cadre de leurs accords avec le gouvernement éthiopien, et dénoncer publiquement les restrictions à l’aide et les attaques visant les travailleurs humanitaires.
« Les gouvernements étrangers et les organisations internationales ont privilégié le statu quo avec le gouvernement éthiopien malgré l’absence d’amélioration de la situation sur le terrain », a conclu Laetitia Bader. « Les souffrances civiles persistantes provoquées par le conflit dans l’Amhara exigent une surveillance internationale bien plus étroite des droits en Éthiopie. »
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