(Washington, le 27 juin 2024) – Les États-Unis privent de leur droit de vote de nombreux citoyens ayant fait l’objet d’une condamnation pénale, contrairement à d’autres pays, ont déclaré conjointement le Sentencing Project, Human Rights Watch et l’American Civil Liberties Union (ACLU) dans un rapport rendu public aujourd’hui. En cette année électorale aux États-Unis et à l’avenir, les États américains devraient réformer leurs lois pour garantir que personne ne se voie refuser le droit de vote en raison d’une condamnation pénale.
Le rapport de 55 pages, intitulé « Out of Step: US Policy on Voting Rights in Global Perspective » (« En décalage : La politique américaine en matière de droit de vote examinée selon une perspective mondiale »), examine les lois de 136 pays à travers le monde comptant 1,5 million d’habitants et plus, et constate que la majorité (73 pays sur 136) n’ont jamais, ou rarement, privé une personne du droit de vote en raison d’une condamnation pénale. Parmi les 63 autres pays, les États-Unis se situent à l’extrémité du spectre restrictif, privant un très grand nombre de personnes de ce droit.
« Un large accès aux bulletins de vote est une pierre angulaire d’un gouvernement démocratique et respectueux des droits ; c’est pour cela que ce droit est protégé par le droit international des droits humains, et que les États-Unis devraient réformer leur statut d’exception en ce domaine », a déclaré Alison Leal Parker, directrice adjointe du programme États-Unis au sein de Human Rights Watch. « Le droit de vote et la légitimité du système démocratique aux États-Unis ne devraient pas dépendre de son système pénal, qui s’appuie sur la discrimination et la prolonge. »
Les lois américaines sur la privation du droit de vote en cas de condamnation pénale remontent à la fin de la guerre civile (Guerre de Sécession). Après que les Noirs autrefois réduits en esclavage ont obtenu le droit de vote grâce au 14ème amendement de la Constitution, les législateurs au niveau des États ont commencé à élargir la liste des crimes définis comme des délits pour cibler les personnes noires. Simultanément, les États ont commencé à révoquer le droit de vote pour toute condamnation pour crime. Bien que le gouvernement fédéral ait officiellement interdit, dans la Loi sur le droit de vote (Voting Rights Act) de 1965, certaines de ces politiques connues sous le nom de « lois Jim Crow », d’autres textes prévoyant une privation du droit de vote pour délit criminel restent en vigueur dans 48 États américains.
En 2022, plus de 4,4 millions de personnes aux États-Unis ont été privées du droit de vote en raison d’une condamnation pour crime, et des milliers d’autres électeurs éligibles n’ont pu voter parce qu’ils étaient en prison. Un Noir sur 19 en âge de voter est privé du droit de vote, soit 3,5 fois plus que les autres Américains. Selon une estimation prudente, un demi-million de Latino-Américains sont privés de leurs droits en raison de ces politiques, et dans certains États, comme la Floride, les enfants condamnés pour crime peuvent perdre ce droit de façon permanente avant même d’être en âge de voter.
Les trois organisations ont constaté qu’au cours des dernières années, certaines juridictions américaines ont pris des mesures pour restaurer le droit de vote de personnes qui l’avaient perdu en raison d’une condamnation pénale. La plupart des États américains ne privent plus les personnes du droit de vote à vie, et beaucoup ne privent plus les personnes remises en liberté.
« Ces dernières années, nous avons vu de nombreuses juridictions américaines et d’autres pays commencer à redonner le droit de vote à des personnes passées par le système judiciaire pénal. Ces progrès sont prometteurs, mais il reste encore beaucoup à faire », a déclaré Nicole D. Porter, directrice principale du plaidoyer pour le Sentencing Project. « Dans ce rapport, nous recommandons que les États-Unis mettent fin à la privation du droit de vote et l’étendent à tout individu autrement éligible à ce droit, indépendamment de ses antécédents judiciaires pénaux. Nous recommandons également que les localités établissent des centres de vote ou mettent tout en œuvre pour faciliter le vote dans tous les établissements pénitentiaires – comme cela a été observé dans les comtés de Cook (Chicago, Illinois) et de Harris (Houston, Texas), et le District de Columbia. »
Malgré les progrès en matière d’éligibilité légale au vote, des obstacles concrets substantiels subsistent pour les Américains qui réintègrent la société après leur incarcération.
« Même si nous avons vu de plus en plus d’États américains progresser dans l’expansion du rétablissement des droits, il reste des défis importants en matière d’accès aux électeurs », a déclaré Jonathan Topaz, avocat au sein du Voting Rights Project de l’ACLU. « Par exemple, des lois alambiquées sur le rétablissement des droits ont semé la confusion parmi les électeurs quant à l’éligibilité des citoyens qui reviennent dans le pays. De plus, dans de nombreux États, les citoyens de retour de l’étranger ne peuvent voter qu’après s’être acquittés de diverses obligations financières légales telles que les frais, les coûts, les amendes et/ou la restitution, ce qui équivaut essentiellement à un vote payant. Ces obstacles doivent être abolis pour garantir la pleine participation civique. »
Dans d’autres pays, la tendance est plutôt à un rétablissement des droits des personnes ayant fait l’objet de condamnations pénales. Par exemple, en 2014, l’Égypte a abrogé une loi extrême qui imposait une interdiction de voter, sans limitation dans le temps, à tout individu reconnu coupable d’un délit. En 2020, la Haute Cour ougandaise a confirmé le droit constitutionnel de vote pour tous les citoyens âgés de 18 ans et plus, y compris les personnes incarcérées.
En 2022, la Haute Cour de Tanzanie a jugé inconstitutionnelle une loi privant du droit de vote les personnes condamnées à plus de six mois de prison, car elle était trop générale et incompatible avec la constitution nationale. La même année, le gouvernement chilien a supprimé certains obstacles au vote des détenus, leur permettant ainsi de voter en 2022 et 2023 aux référendums constitutionnels. Toujours en 2022, la Cour suprême du Népal a exigé que les personnes incarcérées, aussi bien celles se trouvant en détention provisoire que celles purgeant une peine, puissent voter aux élections au parlement fédéral et aux assemblées provinciales.
Âgé de 41 ans, João Luis Silva, qui avait été incarcéré au Brésil, a déclaré qu’être à nouveau en mesure d’exercer son droit de vote a contribué à faciliter sa réinsertion sociale : « Ne pas pouvoir voter vous marginalise », a-t-il déclaré. « Quand ce [droit] est restauré, c’est comme si vous reveniez dans la société. »